jeudi 19 avril 2018

Ne meurs pas sans me dire où tu vas chapitre 3



Chapitre 3



Je craignais que cette fois-ci la porte soit gardée, mais il n'en n'était rien. Je n'avais pas emporté mes livres, étrangement je souhaitais rassurer Thomas sur un retour possible. Aujourd'hui, le ciel tenait promesse et épandait sur la ville ses flocons de neige rendant impossible de faire la distinction de ce qui était du ciel et ce qui était du sol. J'avançais entre ciel et terre. Personne dans les rues, le froid repoussait même les plus audacieux. Ce mur blanc laissait peu de visibilité et même si cela me convenait, j'éprouvais quelques difficultés à retrouver mon banc et le mur d'Adèle, mais j'y parvins. Je restais assis, Adèle était aussi absente que la neige n'était présente. Elle ne viendrait pas, pas par ce temps, pas pour moi, idiot. 

J'avais froid, plusieurs heures de neige m'engourdissaient. Si je ne voulais pas y perdre la vie, je devais me bouger, mais cela relevait-il d'une volonté ? Je ne m'étais encore jamais demandé si je voulais vivre ou mourir. Toujours est-il que le fait de rester assis sur ce banc me semblait idiot et dénuer de tout bon sens. Je décidais de me réchauffer dans le seul endroit ouvert par ce temps, un café. Il y a toujours des cafés aux abords des cimetières. J'entrais et jalousais un couple qui s'étaient octroyés la meilleure place auprès du godet brûlant. Je savais qu'ils étaient en couple car il émanait d'eux cette arrogance démesurée d'être les seuls êtres vivant sur cette terre. Je m'installais à une table, face à la fenêtre. La neige ne faiblissait pas, comme animé par le désir d’ensevelir la ville. La chaleur des lieux me piquait le visage et les mains. Je tremblais.
_ Tu prends quoi p'tit ?
C'était le patron du café, un vieil homme usé par des années de comptoir à écouter la vie des gens se déverser dans des verres à pieds, ou sans.
Je n'avais pas un sous, je n'avais d'ailleurs jamais touché la moindre pièce de monnaie ou le moindre billet. Qui de nos jours a encore l'honneur d'une telle chose ? Pour autant, je connaissais les notions qui allaient avec l'argent et je savais que sans je ne pourrais rien avoir. Je ne pouvais pas rester. Je me levais résigné. Le patron posa la main sur mon épaule et me força à me rasseoir. Après quelques minutes, il revînt avec une tasse fumante de chocolat et repartit derrière son comptoir, et oublia, par élégance, ma présence.
J'avais fait duré cette boisson chaude et réconfortante et cela faisait déjà longtemps que j'avais découvert le fond de ma tasse. Tout était calme, le couple ne se parlait pour ainsi dire pas, étant dans la contemplation l'un de l'autre. La porte s'ouvrit et avec elle s'engouffra le froid, je lui tournais le dos, peu curieux à regarder le nouveau venu. Je poursuivais mes pensées volantes comme flocon au vent. Ainsi, elle pût s'approcher sans que je ne m'en aperçoive.
_ Musée, dit-elle en s’asseyant devant moi, me privant de la vue neigeuse.
_ Quoi ?
_ Je t'emmène au musée. C'est le temps idéal, il sera vide de monde, à nous. Mais avant, comme j'ai froid, en gentleman tu vas m'offrir un chocolat.
Je haussais les épaules.
_ Je n'ai pas d'argent, dis-je sans la moindre gêne, assumant ma pauvreté, je ne suis pas un gentleman vois-tu.
Elle se mît à rire, comme lorsque je n'arrivais pas à monter le mur, et cette fois encore cela me plut.
_ Alors c'est à moi de faire la gente dame, elle se leva.
Elle déposa deux tasses sur la table, et s'assit de nouveau devant moi. Elle gardait son silence.
De derrière sa tasse, elle me fixait. Cela me mettais mal à l'aise et elle le savait et s'en amusait au regard du petit sourire qui se dessinait aux coins de ses lèvres. _ Elle est jolie, me dis-je tout en me surprenant à cette réflexion. Je ne m’étais alors encore jamais interrogé sur la beauté ou non des gens, mais Adèle était jolie, je pense. Pour une raison que je ne comprenais pas, cela me mit en colère. Rageur, je gardais son silence qu'elle ne prétendait pas rompre. Ma colère se mua en interrogations et s'encra sur la seule et vraie question : que fait-elle ici avec moi ?
Sa tasse était terminée depuis un moment, mais elle ne prononçait toujours pas un mot. Elle attendait nargueuse que je parle. Le couple seul au monde remarqua notre présence et nous regardaient avec un sourire de bienveillance, comme s'ils regardaient une portée de chatons faire leurs premiers pas. J'étais irrité. Quel sens donnaient-ils à notre vis-à-vis silencieux avec Adèle ? Et l'idée qu'ils puissent faire un parallèle avec leur propre vis-à-vis me fâchait. Je devais rompre ce silence équivoque, et avec précipitation je lançais sans ménagement :
_ Ta mère a payé sa dette.
J'aurais du m'arrêter là, et même avant, mais je ne le pus. Je déballais en tout sens et avec une quasi fureur ce que m'avait dit le père Jean et Thomas. Une fois les derniers mots jetés de ma bouche, je baissais les yeux, pas fier, je ne pouvais soutenir son regard. J'avais cherché à l'atteindre, la blesser, sans raison. Imbécile !
Mais c'est d'une voix joyeuse, et sans l'ombre des reproches que je me faisais, qu'elle me répondit :
_ Je ne crois pas en dieu, tradition et bon sens familial.
_ Mais tu crois en une vie après la mort !
_ Je n'ai pas de croyance, une vie après la mort ne signifie pas que Dieu existe, l'homme se suffit à lui-même.
_ Je n'ai pas non plus de croyance, mais cela me semble paradoxal de penser une vie désincarnée sans croire en une religion et en un dieu.
Elle passa un long moment, à grand renfort d'arguments, à m'expliquer la dissociation évidente d'un dieu avec le fait qu'il puisse exister quelque chose après la mort. Je n'y comprenais pas grand chose, mais je me détendais car le couple seul au monde se désintéressa de nous pour poursuivre leur idylle.
_ Allons au musée, finit-elle par dire en se levant.
_ Il neige vraiment fort, dis-je tout en me sentant idiot de faire une telle réflexion. Sûrement que je ne n'avais pas très envie d'aller dans un musée.
_ Il neige, et alors ?
Je remerciais le patron d'un signe de la main, discret comme son sourire en retour.
Elle m'attrapa le bras et me guida à travers les rues de la ville qu'elle semblait connaître sur le bout de ses pieds. Ses pieds qui voletaient au dessus de l'épaisse couche neigeuse. Mes points-tirés habituellement solitaires ne l'étaient plus, les accompagnaient de petites traces, dessin témoignage de notre passage.
Adèle était joyeuse, elle m’entraînait avec énergie, cette visite au musée semblait l'enchanter. Je n'étais bien évidemment jamais allé dans un musée, l'idée même de le faire me paraissait incongru. Que pourrait y faire un abandonné, u inculte, avec le diable logé dans le corps ? Pourquoi Adèle m'y emmenait-elle ? Pour quelles raisons je m'y laissais entraîner ? Toutes ces questions faisaient fondre la neige sur mon visage. Qui était Adèle ? Et finalement qui étais-je moi-même lorsque j'étais avec elle ?
Au musée, Adèle semblait chez elle, un homme la salua même par son prénom. On traversa plusieurs salles sans s'y arrêter. Pleines de scènes, vides de vie, nous étions seuls. Adèle voulait m'emmener à un endroit bien précis. Arrivée dans une petite salle, elle s'arrêta. Un homme était assis sur un banc et soudain elle semblait contrariée.
_ C'est... mon banc, se plaigna-t-elle
_ Il reste de la place, dis-je ne comprenant pas bien l'effet que cet homme assis provoquait sur Adèle.
_ C'est vrai, dit-elle en se reprenant, mais habituellement il est vide, tout comme cette pièce.
Elle s'avança et s’assit. L'homme était au milieu du banc, Adèle à sa droite, moi à sa gauche. L'homme regardait un tableau, mais mon regard restait dirigé vers l'homme. Il pleurait, en silence, sans mimique, juste les larmes qui coulaient le long de ses joues pour tomber sur ses mains. Il devait être là à pleurer depuis un moment, ses mains étaient toutes humide et des gouttes commençaient à tomber sur ses chaussures en cuir cirées noir. Il pleurait. Et elle pleurait. Ils regardaient le tableau. Allait-on dans les musées pour pleurer ? Ils pleuraient s'ignorant l'un l'autre mais dans la complicité des larmes, me laissant seul. Il n'y avait aucune pudeur dans ces pleurs, mais l'élégance des choses qui dépasse notre compréhension. Pour autant j'étais gêné, comment pouvaient-ils se laisser aller ainsi aux larmes ? Incrédules, et ne souhaitant plus les voir, je tournais mon regard vers le tableau.
Je pleure.
Les larmes s'élancent le long de mes joues, tombent, heurtent mes mains, s'échappent de mes doigts, tombent, s'écrasent entre mes pieds écartés.
Je suis sous le choc, je ne me connais plus. Qui suis-je pour pleurer ainsi ? Une fois encore, la colère s'empara de moi. Le diable se réveille. Je me lève, la jambe plus raide que jamais. J'étouffe, je suffoque, l’œuvre m'assaille. Je dois sortir. Dans la pièce d'après, un gardien m'observe, il sourit, un sourire qui se moque de moi et de mes larmes, un regard qui jubile de ma fuite. Les œuvres rient de moi, je vois des femmes rirent et leurs rires m’écorchent. Dans l'un des tableaux, un enfant me montre du doigt. Je serre les dents. Le gardien est sur mon chemin, sur ma trajectoire vers la sortie. Du revers de la manche j'essuie mes larmes. Pour moi, l'affrontement est inévitable. Je heurte avec toute la force que je pouvais y mettre, le gardien, d'un large coup d'épaule frêle. Le corps tendu, je n'ai plus qu'une envie, en découdre avec quelqu'un, un être de chair cristallisant ma colère.
Je n'ai pas à faire à un amateur, je sens dans ses mouvements l'acquis de nombreuses joutes, et dans son regard le fait qu'il est prêt à encaisser et à donner.
Visage plaqué au mur, le bras à la limite de la rupture. Je dois abandonner.
_C'est par respect pour mademoiselle Adèle que je ne vous donne pas une correction.
Une fois mis dehors, je restais sous la neige, offert au froid. Je ne savais quoi faire, partir et fuir, ou rester et attendre Adèle et affronter son jugement.
Que s'était-il passé ?
Elle me rejoignit.
_ Syndrome de Stendhal, une jolie manifestation, dit-elle avec le sourire.
De quoi parle-t-elle encore ? Ma mâchoire tremblait, je n'avais pas envie de lui demander, ni même de comprendre.
L'homme du banc s'avançait vers nous. Je regardais les traces qu'il laissait dans la neige. Des points d’interrogation de la jambe droite. Je sympathisais avec sa marche.
Un fois devant nous, il tendit un petit bout de papier à Adèle.
_ Toute question mérite des réponses, quelles qu'elles soient.
Demi-cercle dans la neige, il s'éloigna, rapidement englouti par le déferlant blanc.
_ C'est une adresse, répondit Adèle à mon silence.
La neige se muait en blizzard et mon humeur aussi.
_Allons voir ce qu'il y a à cette adresse, dit-elle. Cela lui semblait tellement naturel de se rendre à une adresse inconnue, donné par un inconnu et en pleine tempête de neige. Elle m'effrayait, ou me fascinait, la distinction était impossible.
_ Sans moi, dit-je sans d'autre mot en m'éloignant, souhaitant fuir avant qu'elle ne découvre ma colère.
Je la laissais plantée là, et je n'avais pas de regret. Elle m'en voudrait, je ne la reverrai jamais.
Peu importe.
Tirés et points, seul.












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