Je
craignais que cette fois-ci la porte soit gardée, mais il n'en n'était rien. Je
n'avais pas emporté mes livres, étrangement je souhaitais rassurer Thomas sur
un retour possible. Aujourd'hui, le ciel tenait promesse et épandait sur la
ville ses flocons de neige rendant impossible de faire la distinction de ce qui
était du ciel et ce qui était du sol. J'avançais entre ciel et terre. Personne
dans les rues, le froid repoussait même les plus audacieux. Ce mur blanc
laissait peu de visibilité et même si cela me convenait, j'éprouvais quelques
difficultés à retrouver mon banc et le mur d'Adèle, mais j'y parvins. Je
restais assis, Adèle était aussi absente que la neige n'était présente. Elle ne
viendrait pas, pas par ce temps, pas pour moi, idiot.
J'avais froid, plusieurs heures de neige m'engourdissaient. Si je ne voulais pas y perdre la vie, je devais me bouger, mais cela relevait-il d'une volonté ? Je ne m'étais encore jamais demandé si je voulais vivre ou mourir. Toujours est-il que le fait de rester assis sur ce banc me semblait idiot et dénuer de tout bon sens. Je décidais de me réchauffer dans le seul endroit ouvert par ce temps, un café. Il y a toujours des cafés aux abords des cimetières. J'entrais et jalousais un couple qui s'étaient octroyés la meilleure place auprès du godet brûlant. Je savais qu'ils étaient en couple car il émanait d'eux cette arrogance démesurée d'être les seuls êtres vivant sur cette terre. Je m'installais à une table, face à la fenêtre. La neige ne faiblissait pas, comme animé par le désir d’ensevelir la ville. La chaleur des lieux me piquait le visage et les mains. Je tremblais.
J'avais froid, plusieurs heures de neige m'engourdissaient. Si je ne voulais pas y perdre la vie, je devais me bouger, mais cela relevait-il d'une volonté ? Je ne m'étais encore jamais demandé si je voulais vivre ou mourir. Toujours est-il que le fait de rester assis sur ce banc me semblait idiot et dénuer de tout bon sens. Je décidais de me réchauffer dans le seul endroit ouvert par ce temps, un café. Il y a toujours des cafés aux abords des cimetières. J'entrais et jalousais un couple qui s'étaient octroyés la meilleure place auprès du godet brûlant. Je savais qu'ils étaient en couple car il émanait d'eux cette arrogance démesurée d'être les seuls êtres vivant sur cette terre. Je m'installais à une table, face à la fenêtre. La neige ne faiblissait pas, comme animé par le désir d’ensevelir la ville. La chaleur des lieux me piquait le visage et les mains. Je tremblais.
_ Tu
prends quoi p'tit ?
C'était
le patron du café, un vieil homme usé par des années de comptoir à écouter la
vie des gens se déverser dans des verres à pieds, ou sans.
Je
n'avais pas un sous, je n'avais d'ailleurs jamais touché la moindre pièce de
monnaie ou le moindre billet. Qui de nos jours a encore l'honneur d'une telle
chose ? Pour autant, je connaissais les notions qui allaient avec l'argent
et je savais que sans je ne pourrais rien avoir. Je ne pouvais pas rester. Je
me levais résigné. Le patron posa la main sur mon épaule et me força à me
rasseoir. Après quelques minutes, il revînt avec une tasse fumante de chocolat
et repartit derrière son comptoir, et oublia, par élégance, ma présence.
J'avais
fait duré cette boisson chaude et réconfortante et cela faisait déjà longtemps
que j'avais découvert le fond de ma tasse. Tout était calme, le couple ne se
parlait pour ainsi dire pas, étant dans la contemplation l'un de l'autre. La
porte s'ouvrit et avec elle s'engouffra le froid, je lui tournais le dos, peu
curieux à regarder le nouveau venu. Je poursuivais mes pensées volantes comme
flocon au vent. Ainsi, elle pût s'approcher sans que je ne m'en aperçoive.
_
Musée, dit-elle en s’asseyant devant moi, me privant de la vue neigeuse.
_
Quoi ?
_ Je
t'emmène au musée. C'est le temps idéal, il sera vide de monde, à nous. Mais
avant, comme j'ai froid, en gentleman tu vas m'offrir un chocolat.
Je
haussais les épaules.
_ Je
n'ai pas d'argent, dis-je sans la moindre gêne, assumant ma pauvreté, je ne
suis pas un gentleman vois-tu.
Elle se
mît à rire, comme lorsque je n'arrivais pas à monter le mur, et cette fois encore
cela me plut.
_ Alors
c'est à moi de faire la gente dame, elle se leva.
Elle
déposa deux tasses sur la table, et s'assit de nouveau devant moi. Elle gardait
son silence.
De
derrière sa tasse, elle me fixait. Cela me mettais mal à l'aise et elle le savait
et s'en amusait au regard du petit sourire qui se dessinait aux coins de ses
lèvres. _ Elle est jolie, me dis-je tout en me surprenant à cette réflexion. Je
ne m’étais alors encore jamais interrogé sur la beauté ou non des gens, mais
Adèle était jolie, je pense. Pour une raison que je ne comprenais pas, cela me
mit en colère. Rageur, je gardais son silence qu'elle ne prétendait pas rompre.
Ma colère se mua en interrogations et s'encra sur la seule et vraie
question : que fait-elle ici avec moi ?
Sa tasse
était terminée depuis un moment, mais elle ne prononçait toujours pas un mot.
Elle attendait nargueuse que je parle. Le couple seul au monde remarqua notre
présence et nous regardaient avec un sourire de bienveillance, comme s'ils
regardaient une portée de chatons faire leurs premiers pas. J'étais irrité.
Quel sens donnaient-ils à notre vis-à-vis silencieux avec Adèle ? Et
l'idée qu'ils puissent faire un parallèle avec leur propre vis-à-vis me
fâchait. Je devais rompre ce silence équivoque, et avec précipitation je
lançais sans ménagement :
_ Ta
mère a payé sa dette.
J'aurais
du m'arrêter là, et même avant, mais je ne le pus. Je déballais en tout sens et
avec une quasi fureur ce que m'avait dit le père Jean et Thomas. Une fois les
derniers mots jetés de ma bouche, je baissais les yeux, pas fier, je ne pouvais
soutenir son regard. J'avais cherché à l'atteindre, la blesser, sans raison.
Imbécile !
Mais
c'est d'une voix joyeuse, et sans l'ombre des reproches que je me faisais,
qu'elle me répondit :
_ Je ne
crois pas en dieu, tradition et bon sens familial.
_ Mais
tu crois en une vie après la mort !
_ Je
n'ai pas de croyance, une vie après la mort ne signifie pas que Dieu existe,
l'homme se suffit à lui-même.
_ Je
n'ai pas non plus de croyance, mais cela me semble paradoxal de penser une vie
désincarnée sans croire en une religion et en un dieu.
Elle
passa un long moment, à grand renfort d'arguments, à m'expliquer la
dissociation évidente d'un dieu avec le fait qu'il puisse exister quelque chose
après la mort. Je n'y comprenais pas grand chose, mais je me détendais car le
couple seul au monde se désintéressa de nous pour poursuivre leur idylle.
_
Allons au musée, finit-elle par dire en se levant.
_ Il
neige vraiment fort, dis-je tout en me sentant idiot de faire une telle
réflexion. Sûrement que je ne n'avais pas très envie d'aller dans un musée.
_ Il
neige, et alors ?
Je
remerciais le patron d'un signe de la main, discret comme son sourire en retour.
Elle
m'attrapa le bras et me guida à travers les rues de la ville qu'elle semblait
connaître sur le bout de ses pieds. Ses pieds qui voletaient au dessus de
l'épaisse couche neigeuse. Mes points-tirés habituellement solitaires ne
l'étaient plus, les accompagnaient de petites traces, dessin témoignage de
notre passage.
Adèle
était joyeuse, elle m’entraînait avec énergie, cette visite au musée semblait
l'enchanter. Je n'étais bien évidemment jamais allé dans un musée, l'idée même
de le faire me paraissait incongru. Que pourrait y faire un abandonné, u
inculte, avec le diable logé dans le corps ? Pourquoi Adèle m'y
emmenait-elle ? Pour quelles raisons je m'y laissais entraîner ?
Toutes ces questions faisaient fondre la neige sur mon visage. Qui était
Adèle ? Et finalement qui étais-je moi-même lorsque j'étais avec
elle ?
Au
musée, Adèle semblait chez elle, un homme la salua même par son prénom. On
traversa plusieurs salles sans s'y arrêter. Pleines de scènes, vides de vie,
nous étions seuls. Adèle voulait m'emmener à un endroit bien précis. Arrivée
dans une petite salle, elle s'arrêta. Un homme était assis sur un banc et
soudain elle semblait contrariée.
_
C'est... mon banc, se plaigna-t-elle
_ Il
reste de la place, dis-je ne comprenant pas bien l'effet que cet homme assis
provoquait sur Adèle.
_ C'est
vrai, dit-elle en se reprenant, mais habituellement il est vide, tout comme
cette pièce.
Elle
s'avança et s’assit. L'homme était au milieu du banc, Adèle à sa droite, moi à
sa gauche. L'homme regardait un tableau, mais mon regard restait dirigé vers
l'homme. Il pleurait, en silence, sans mimique, juste les larmes qui coulaient
le long de ses joues pour tomber sur ses mains. Il devait être là à pleurer
depuis un moment, ses mains étaient toutes humide et des gouttes commençaient à
tomber sur ses chaussures en cuir cirées noir. Il pleurait. Et elle pleurait.
Ils regardaient le tableau. Allait-on dans les musées pour pleurer ? Ils
pleuraient s'ignorant l'un l'autre mais dans la complicité des larmes, me
laissant seul. Il n'y avait aucune pudeur dans ces pleurs, mais l'élégance des
choses qui dépasse notre compréhension. Pour autant j'étais gêné, comment
pouvaient-ils se laisser aller ainsi aux larmes ? Incrédules, et ne
souhaitant plus les voir, je tournais mon regard vers le tableau.
…
Je
pleure.
Les
larmes s'élancent le long de mes joues, tombent, heurtent mes mains,
s'échappent de mes doigts, tombent, s'écrasent entre mes pieds écartés.
Je suis
sous le choc, je ne me connais plus. Qui suis-je pour pleurer ainsi ? Une fois
encore, la colère s'empara de moi. Le diable se réveille. Je me lève, la jambe
plus raide que jamais. J'étouffe, je suffoque, l’œuvre m'assaille. Je dois
sortir. Dans la pièce d'après, un gardien m'observe, il sourit, un sourire qui
se moque de moi et de mes larmes, un regard qui jubile de ma fuite. Les œuvres
rient de moi, je vois des femmes rirent et leurs rires m’écorchent. Dans l'un
des tableaux, un enfant me montre du doigt. Je serre les dents. Le gardien est
sur mon chemin, sur ma trajectoire vers la sortie. Du revers de la manche
j'essuie mes larmes. Pour moi, l'affrontement est inévitable. Je heurte avec
toute la force que je pouvais y mettre, le gardien, d'un large coup d'épaule
frêle. Le corps tendu, je n'ai plus qu'une envie, en découdre avec quelqu'un,
un être de chair cristallisant ma colère.
Je n'ai
pas à faire à un amateur, je sens dans ses mouvements l'acquis de nombreuses
joutes, et dans son regard le fait qu'il est prêt à encaisser et à donner.
Visage
plaqué au mur, le bras à la limite de la rupture. Je dois abandonner.
_C'est
par respect pour mademoiselle Adèle que je ne vous donne pas une correction.
Une
fois mis dehors, je restais sous la neige, offert au froid. Je ne savais quoi
faire, partir et fuir, ou rester et attendre Adèle et affronter son jugement.
Que
s'était-il passé ?
Elle me
rejoignit.
_
Syndrome de Stendhal, une jolie manifestation, dit-elle avec le sourire.
De quoi
parle-t-elle encore ? Ma mâchoire tremblait, je n'avais pas envie de lui
demander, ni même de comprendre.
L'homme
du banc s'avançait vers nous. Je regardais les traces qu'il laissait dans la
neige. Des points d’interrogation de la jambe droite. Je sympathisais avec sa
marche.
Un fois
devant nous, il tendit un petit bout de papier à Adèle.
_ Toute
question mérite des réponses, quelles qu'elles soient.
Demi-cercle
dans la neige, il s'éloigna, rapidement englouti par le déferlant blanc.
_ C'est
une adresse, répondit Adèle à mon silence.
La
neige se muait en blizzard et mon humeur aussi.
_Allons
voir ce qu'il y a à cette adresse, dit-elle. Cela lui semblait tellement
naturel de se rendre à une adresse inconnue, donné par un inconnu et en pleine
tempête de neige. Elle m'effrayait, ou me fascinait, la distinction était
impossible.
_ Sans
moi, dit-je sans d'autre mot en m'éloignant, souhaitant fuir avant qu'elle ne
découvre ma colère.
Je la
laissais plantée là, et je n'avais pas de regret. Elle m'en voudrait, je ne la
reverrai jamais.
Peu
importe.
Tirés
et points, seul.
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