Chapitre 4
De retour au pensionnat, je me
dirigeai spontanément vers le bureau du père Jean, une habitude qui
s'installait. Le bureau était vide, je n'avais pas imaginé cela possible. Je
décidai de prendre place et d'attendre. Je n'aimais pas attendre, mais j'avais
besoin de m'apaiser, et ce lieu ni rassurant ni inquiétant me le permettait.
Tout en me questionnant sur les événements de la journée, je m'étais assis à la
place du père Jean. Son siège n'avait rien de plus confortable que ceux des
invités, toutefois la place conférait une aisance et une présence plus
importante dans la pièce. Viscéralement, il me fallait déplacer l'ordre établi
sur le bureau. C'est à ce moment qu'il entra dans la pièce. Il s'assit à la
place de l'invité. Il gardait le silence, cela devenait une mauvaise habitude
que de garder le silence face à moi et d'attendre que je parle. Je finissais le
désordre que j'avais débuté, déplaçant les pots à crayons.
_ Je suis revenu, dis-je ne
voyant pas quoi dire d'autre
_ Et tu es toujours le
bienvenu Joseph
_ Bien alors tout est dit.
Je me levai.
_ As-tu l'intention de
repartir demain ?
_ Probablement, qu'importe mes
intentions
_ Thomas semble t'apprécier
_ Êtes-vous déjà aller dans un
musée ?
_ Oui
_ Avez-vous pleuré ?
_ Les émotions sont pa...
_ … Avez-vous pleuré ?
_ Je n'en ai pas souvenir,
non. Mais je pense...
Je refermai la porte derrière
moi et sur les paroles du père Jean.
Une agitation inhabituelle
régnait dans les couloirs, cela ne convenait pas à mon humeur, je gagnais
rapidement la chambre de Thomas. Lui aussi semblait emporté par l'excitation,
il n'arbora aucune surprise ni même l'esquisse d'une satisfaction de me voir
revenir. Cela me mura d'avantage dans mon inconfort mental. Je m'allongeais. Ce
n'est qu'après un long moment et alors que je somnolais, qu'il prit conscience
de ma présence.
_ Tu sais quoi ?
_ Elle est stupide ta
question, claqua ma voix
_ Il y a un nouveau qui
arrive.
_ Et c'est cela qui vous met
dans cet état ? Vous lui préparez son lit, c'est cela qui vous
amuse ?
_ Ce n'est pas un nouveau mais
plus exactement une nouvelle.
_ Et alors ?
_ C'est la première fois
qu'une fille est acceptée ici. De mémoire de vieux, jamais une fille n'est
devenue pensionnaire.
_Génial.
Thomas ne s'arrêta pas à mon
manque d'enthousiasme et poursuivit,
_ Le père Jean l'a accepté que
pour un temps. Elle va te plaire, il paraît qu'elle est insociable et en plus
elle est muette ! J'crois bien qu'on t'a trouvé ta p'tite.
Je grognais et sortis de la
chambre, l'heure du repas était venu.
Il se passa dans la même
agitation. Je me tenais le plus à l'écart possible de tous cela. Je n'y voyais
aucun amusement ni aucun plaisir, et pourtant malgré moi je les enviais.
J'enviais leur légèreté de vie et de pensée. Leur énergie sans cesse
renouvelable alors que la mienne semblait s’amoindrir depuis ma naissance.
Je sortais de table, le repas
inachevé. Je fuyais, la colère demandait à sortir. Une fois encore.
Dans le couloir menant aux
chambres je croisais le père Jean avec, je suppose, la dite fille qui agitait
les lieux.
_ Joseph, je te présente
Hortense.
Son regard me plut, ces yeux
n'exprimaient rien et cela était effarant de beauté. Je murmurais un bonsoir en
m'éloignant rapidement sans pour autant réussir à réprimer un frisson.
Je m'endormais rapidement. Une
nuit comme les autres, peuplée de rêves qui ne m'appartenaient pas.
Le lendemain matin, aux
premières lueurs du jour annonciateur d'une journée sans soleil et d'une neige
abondante, je me levais et déambulais dans les couloirs sans but. Je n'étais
pas d'humeur à rester dans ces lieux, mais aller à l'extérieur mettrait en
chaos l'absence d’Adèle. Poignante absence, alors qu'une seule poignée d'heures
composée notre connaissance l'un de l'autre. Elle m'était étrangère et j'avais
pourtant envie de la revoir. Le mur du cimetière serait vide, je le savais. Il
n'y aurait pas plus de vie que dans les sépultures qu'il protège. Si je reste,
le père Jean ne tarderait pas à m'attribuer une tâches et me faire suivre des
cours. La fuite, encore, était le mieux. Ni mur de cimetière, ni ici, ailleurs,
toujours ailleurs.
A l'extérieur, je prenais le
chemin qui me semblait le plus opposé au cimetière. Mes pas étaient lourds. Je
souhaitais me perdre et je pensais y être parvenu lorsque que sur une marche
qui croisait mon errance, je retrouvais Hortense assise dans ses pensées, un
chat noir sur les genoux. La neige semblait ne pas s'arrêtait ni se déposer sur
eux, elle s'écoulait et s’amonceler aux pieds d'Hortense. Elle ne leva pas les
yeux sur moi, mais le chat le fit avec un feulement sans équivoque, il avait
ses mêmes yeux sans expression. Je ne souhaitais pas la déranger, je souhaitais
juste passer les quelques marches qui me mèneraient à la rue suivante. Son
immobilité commençait à me fâcher et cela me donna presque l'envie cynique de
l'interroger sur sa présence sur cette marche et d'exiger d'entendre une
réponse. J'étais encore dans ses pensées fétides lorsqu'elle leva la tête. Ces
yeux brisèrent sur place mon arrogance, son regard me terrassa et alors qu'elle
posait ses yeux sur moi, le chat se remit à feuler et lui donner une voix qui
disait « va-t-en ! » . Je prie peur et reculai. Je devais
halluciner, mais le chat donnait voix à Hortense me menaçant et m'ordonnant de
partir. Le chat montrait ses crocs et les lèvres d'Hortense tremblaient. Leur
regard était rivé sur moi, comme accroché, planté en moi. Les feulements
articulés semblaient en concordance avec les pensés d'Hortense. C'est elle qui
paraissait conspuer et c'est elle qui était prête à me mordre et à sortir les
griffes si je restais. Je m'étais déjà éloigné de plusieurs dizaines de mètres
qu'il me semblait encore entendre les proférations du chat qui m'ordonnait de
partir. Je frémissais de peur et de consternation d'avoir déguerpi ainsi devant
une fillette muette et un chat.
Puis les feulements devinrent
rire, puissant de satisfaction. Ma jambe déclencha une vive douleur en moi,
m'obligeant à stopper ma fuite. La neige commençait à me recouvrir, elle se
plaquait à mon visage. Je fermais les yeux, attendant qu'une épaisse couche
recouvre mes paupières, je la raclais du bout des doigts pour l'enfoncer dans
mes oreilles. Je ne voulais plus entendre ce rire.
Il est étrange de constater
que lorsque l'on a la liberté d'aller où l'on veut, on revient toujours aux
endroits que l'on connaît. J'avais le choix d'une infinité de directions, de
rues, ruelles, chemins, mais je me dirigeais vers le pensionnat. Ma frayeur
irrationnelle y avait conduit mes pas.
Adèle était devant la lourde
porte en bois, mon cœur qui battait un peu trop fort depuis ma rencontre avec
Hortense se calma soudain avant de s'emballer de nouveau lorsque je réalisais
qu'elle devait être là pour moi. Ma joie de la voir me gêna et me donna presque
l'envie de repartir vers Hortense, cela m’effrayait presque moins que ce
bonheur de voir Adèle.
_ Te voilà enfin, dit-elle
d'un filet de voix
_ Comment savais-tu où me
trouver ?
_ C'est ma passion de savoir
les choses, j'aime savoir.
Quelque chose dans son regard
m'inquiéta, comme la brume qui dissimule le précipice.
_ Tu y es allé ?
Demandais-je
Petit hochement de la tête.
J'attendais qu'elle parle,
cette fois j'avais l'avantage. Elle tint un petit moment et le froid
m'engourdissait. Mais elle finit par dire :
_ C'est une très vieille
maison, à l'écart des maisons où la vie s'épanouit. Entre ses murs la mort
semble se tapir, attendant notre venue. Le vent s'y emprisonne et siffle nos
noms. C'est pourquoi je suis venue te chercher.
Je frissonnais.
_ Tu as froid ou aurais-tu
peur ? Dit-elle en riant.
Je ne répondais pas.
_Tu me crois donc sotte ?
Je n'y suis pas allée, pas sans la protection d'un jeune homme prêt à tout pour
me défendre des dangers qui m'attendent.
Mon avantage n'avait été
qu'illusion, je m'avouais vaincu et la suivais lorsqu'elle attrapa mon bras
pour m'entraîner. Que pouvais-je faire d'autre ? Elle était revenue vers
moi sans me juger ni même faire allusion à la veille.
_ Je pense avoir compris une
chose, dit-elle après quelques pas, ce qui régis nos peurs, ce qui fait que la
mort est destructrice par la peur que nous en avons, c'est l'amour. Oui cher
ami c'est l'amour, sans lui que craignons-nous ? C'est bien lui qui nous
fait craindre la mort pour ceux qui nous sont chers ! Sans amour
aurions-nous peur de la mort ? Tu vas me répondre que nous aurions peur
pour notre propre personne, mais encore une fois c'est l'amour que nous nous
portons et à la vie que nous menons qui nous fait craindre la mort. L'amour
nourrit nos peurs. Aimer quelqu'un, c'est s'engager à accepter la peur de le
perdre.
Ces mots portèrent en moi un
souffle de vérité. Je n'aimais personne, ni famille ni ami, ni quoi que se
soit, ni même ma vie. J'étais libre et ne craignais pas la mort. Je pouvais
m'en réjouir.
_ Alors je te pose la
question, l'amour vaut-il que l'on est peur de la mort ?
Elle ne me laissa pas
répondre, ses pensées, l’entraînant dans un monologue. Si elle n'avait pas mis
tant d’énergie à tirer sur mon bras, bras rattaché à ce corps qui était mien,
j'aurais pensé qu'elle avait, dans son éloquence, oublié ma présence. Ce qui ne
m'aurait pas déplu car une angoisse grandissait en moi. Craignais-je pour la
vie d’Adèle ? L'effroi d'une telle possibilité ralentissait mon corps,
qu'Adèle ne ménageait pas. Elle retranscrivait l'énergie qu'elle mettait à me
parler dans ses pas et accélérait alors que je ralentissais, créant une tension
dans nos bras tendus, nous unissant. Craignais-je pour sa vie ?
_ C'est une question futile,
poursuivait-elle, car l'amour caractérise l'être humain, il est insécable à
l'homme. Tout humain aime car c'est natif à l'humain c'est ce qui lui donne le
droit d'être humain parmi les humains. Supprimons l'amour, nous supprimons
l'être humain et l'essence même de son existence. Il faut donc supprimer la
mort.
Ne suis-je donc pas
humain ? Craignais-je pour Adèle ? Ne suis-je donc pas un humain
parmi les humains ? Que sommes nous si nous ne sommes pas humains ?
Qui suis-je ?
Craignais-je pour Adèle ?
Me rendrait-elle humain un jour ? Le souhaitais-je ? Que
suis-je ?
Je m'écroulais, le contact de
la neige glacée sur ma peau était agréable, rassurant. Adèle cherchait à me
relever et me parlait sans que je ne comprenne ses mots. J'avais besoin de me
sentir humain, un humain sur un sol de neige en emprise avec le froid et les
efforts d'Adèle pour me relever. Je souhaitais me sentir humain à travers
l'inquiétude que je percevais dans sa voix. D'autres mains, d'autres voix se
joignirent à celles d'Adèle. On me touchait, j'existais.
On me traîna jusqu'à un banc,
on m'y déposa. Les voix et les mains partirent, seule Adèle resta. On avait
débarrassé le non humain de la voie et on s'en désintéressait. Là assis, je ne
dérangeais plus, moins visible. Ou étais-ce Adèle qui les renvoyait, je ne sais
pas.
Une chaleur piquante sur la
joue, Adèle vient de me gifler, me rendant à mon corps. J'ai froid. Je tremble.
_ Comment te sens-tu ?
_ Pas tout à fait humain.
Adèle ne releva pas.
_ Je te ramène au pensionnat.
_ Aurais-tu peur pour
moi ? Dis-je dans un filet de voix
Elle me sourit.
Cela me suffit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire