mardi 12 juin 2018

Ne meurs pas sans me dire où tu vas chapitre 4

Chapitre 4

De retour au pensionnat, je me dirigeai spontanément vers le bureau du père Jean, une habitude qui s'installait. Le bureau était vide, je n'avais pas imaginé cela possible. Je décidai de prendre place et d'attendre. Je n'aimais pas attendre, mais j'avais besoin de m'apaiser, et ce lieu ni rassurant ni inquiétant me le permettait. Tout en me questionnant sur les événements de la journée, je m'étais assis à la place du père Jean. Son siège n'avait rien de plus confortable que ceux des invités, toutefois la place conférait une aisance et une présence plus importante dans la pièce. Viscéralement, il me fallait déplacer l'ordre établi sur le bureau. C'est à ce moment qu'il entra dans la pièce. Il s'assit à la place de l'invité. Il gardait le silence, cela devenait une mauvaise habitude que de garder le silence face à moi et d'attendre que je parle. Je finissais le désordre que j'avais débuté, déplaçant les pots à crayons.
_ Je suis revenu, dis-je ne voyant pas quoi dire d'autre
_ Et tu es toujours le bienvenu Joseph
_ Bien alors tout est dit.
Je me levai.

_ As-tu l'intention de repartir demain ?
_ Probablement, qu'importe mes intentions
_ Thomas semble t'apprécier
_ Êtes-vous déjà aller dans un musée ?
_ Oui
_ Avez-vous pleuré ?
_ Les émotions sont pa...
_ … Avez-vous pleuré ?
_ Je n'en ai pas souvenir, non. Mais je pense...
Je refermai la porte derrière moi et sur les paroles du père Jean.
Une agitation inhabituelle régnait dans les couloirs, cela ne convenait pas à mon humeur, je gagnais rapidement la chambre de Thomas. Lui aussi semblait emporté par l'excitation, il n'arbora aucune surprise ni même l'esquisse d'une satisfaction de me voir revenir. Cela me mura d'avantage dans mon inconfort mental. Je m'allongeais. Ce n'est qu'après un long moment et alors que je somnolais, qu'il prit conscience de ma présence.
_ Tu sais quoi ?
_ Elle est stupide ta question, claqua ma voix
_ Il y a un nouveau qui arrive.
_ Et c'est cela qui vous met dans cet état ? Vous lui préparez son lit, c'est cela qui vous amuse ?
_ Ce n'est pas un nouveau mais plus exactement une nouvelle.
_ Et alors ?
_ C'est la première fois qu'une fille est acceptée ici. De mémoire de vieux, jamais une fille n'est devenue pensionnaire.
_Génial.
Thomas ne s'arrêta pas à mon manque d'enthousiasme et poursuivit,
_ Le père Jean l'a accepté que pour un temps. Elle va te plaire, il paraît qu'elle est insociable et en plus elle est muette ! J'crois bien qu'on t'a trouvé ta p'tite.
Je grognais et sortis de la chambre, l'heure du repas était venu.
Il se passa dans la même agitation. Je me tenais le plus à l'écart possible de tous cela. Je n'y voyais aucun amusement ni aucun plaisir, et pourtant malgré moi je les enviais. J'enviais leur légèreté de vie et de pensée. Leur énergie sans cesse renouvelable alors que la mienne semblait s’amoindrir depuis ma naissance.
Je sortais de table, le repas inachevé. Je fuyais, la colère demandait à sortir. Une fois encore.
Dans le couloir menant aux chambres je croisais le père Jean avec, je suppose, la dite fille qui agitait les lieux.
_ Joseph, je te présente Hortense.
Son regard me plut, ces yeux n'exprimaient rien et cela était effarant de beauté. Je murmurais un bonsoir en m'éloignant rapidement sans pour autant réussir à réprimer un frisson.
Je m'endormais rapidement. Une nuit comme les autres, peuplée de rêves qui ne m'appartenaient pas.
Le lendemain matin, aux premières lueurs du jour annonciateur d'une journée sans soleil et d'une neige abondante, je me levais et déambulais dans les couloirs sans but. Je n'étais pas d'humeur à rester dans ces lieux, mais aller à l'extérieur mettrait en chaos l'absence d’Adèle. Poignante absence, alors qu'une seule poignée d'heures composée notre connaissance l'un de l'autre. Elle m'était étrangère et j'avais pourtant envie de la revoir. Le mur du cimetière serait vide, je le savais. Il n'y aurait pas plus de vie que dans les sépultures qu'il protège. Si je reste, le père Jean ne tarderait pas à m'attribuer une tâches et me faire suivre des cours. La fuite, encore, était le mieux. Ni mur de cimetière, ni ici, ailleurs, toujours ailleurs.
A l'extérieur, je prenais le chemin qui me semblait le plus opposé au cimetière. Mes pas étaient lourds. Je souhaitais me perdre et je pensais y être parvenu lorsque que sur une marche qui croisait mon errance, je retrouvais Hortense assise dans ses pensées, un chat noir sur les genoux. La neige semblait ne pas s'arrêtait ni se déposer sur eux, elle s'écoulait et s’amonceler aux pieds d'Hortense. Elle ne leva pas les yeux sur moi, mais le chat le fit avec un feulement sans équivoque, il avait ses mêmes yeux sans expression. Je ne souhaitais pas la déranger, je souhaitais juste passer les quelques marches qui me mèneraient à la rue suivante. Son immobilité commençait à me fâcher et cela me donna presque l'envie cynique de l'interroger sur sa présence sur cette marche et d'exiger d'entendre une réponse. J'étais encore dans ses pensées fétides lorsqu'elle leva la tête. Ces yeux brisèrent sur place mon arrogance, son regard me terrassa et alors qu'elle posait ses yeux sur moi, le chat se remit à feuler et lui donner une voix qui disait « va-t-en ! » . Je prie peur et reculai. Je devais halluciner, mais le chat donnait voix à Hortense me menaçant et m'ordonnant de partir. Le chat montrait ses crocs et les lèvres d'Hortense tremblaient. Leur regard était rivé sur moi, comme accroché, planté en moi. Les feulements articulés semblaient en concordance avec les pensés d'Hortense. C'est elle qui paraissait conspuer et c'est elle qui était prête à me mordre et à sortir les griffes si je restais. Je m'étais déjà éloigné de plusieurs dizaines de mètres qu'il me semblait encore entendre les proférations du chat qui m'ordonnait de partir. Je frémissais de peur et de consternation d'avoir déguerpi ainsi devant une fillette muette et un chat.
Puis les feulements devinrent rire, puissant de satisfaction. Ma jambe déclencha une vive douleur en moi, m'obligeant à stopper ma fuite. La neige commençait à me recouvrir, elle se plaquait à mon visage. Je fermais les yeux, attendant qu'une épaisse couche recouvre mes paupières, je la raclais du bout des doigts pour l'enfoncer dans mes oreilles. Je ne voulais plus entendre ce rire.
Il est étrange de constater que lorsque l'on a la liberté d'aller où l'on veut, on revient toujours aux endroits que l'on connaît. J'avais le choix d'une infinité de directions, de rues, ruelles, chemins, mais je me dirigeais vers le pensionnat. Ma frayeur irrationnelle y avait conduit mes pas.
Adèle était devant la lourde porte en bois, mon cœur qui battait un peu trop fort depuis ma rencontre avec Hortense se calma soudain avant de s'emballer de nouveau lorsque je réalisais qu'elle devait être là pour moi. Ma joie de la voir me gêna et me donna presque l'envie de repartir vers Hortense, cela m’effrayait presque moins que ce bonheur de voir Adèle.
_ Te voilà enfin, dit-elle d'un filet de voix
_ Comment savais-tu où me trouver ?
_ C'est ma passion de savoir les choses, j'aime savoir.
Quelque chose dans son regard m'inquiéta, comme la brume qui dissimule le précipice.
_ Tu y es allé ? Demandais-je
Petit hochement de la tête.
J'attendais qu'elle parle, cette fois j'avais l'avantage. Elle tint un petit moment et le froid m'engourdissait. Mais elle finit par dire :
_ C'est une très vieille maison, à l'écart des maisons où la vie s'épanouit. Entre ses murs la mort semble se tapir, attendant notre venue. Le vent s'y emprisonne et siffle nos noms. C'est pourquoi je suis venue te chercher.
Je frissonnais.
_ Tu as froid ou aurais-tu peur ? Dit-elle en riant.
Je ne répondais pas.
_Tu me crois donc sotte ? Je n'y suis pas allée, pas sans la protection d'un jeune homme prêt à tout pour me défendre des dangers qui m'attendent.
Mon avantage n'avait été qu'illusion, je m'avouais vaincu et la suivais lorsqu'elle attrapa mon bras pour m'entraîner. Que pouvais-je faire d'autre ? Elle était revenue vers moi sans me juger ni même faire allusion à la veille.
_ Je pense avoir compris une chose, dit-elle après quelques pas, ce qui régis nos peurs, ce qui fait que la mort est destructrice par la peur que nous en avons, c'est l'amour. Oui cher ami c'est l'amour, sans lui que craignons-nous ? C'est bien lui qui nous fait craindre la mort pour ceux qui nous sont chers ! Sans amour aurions-nous peur de la mort ? Tu vas me répondre que nous aurions peur pour notre propre personne, mais encore une fois c'est l'amour que nous nous portons et à la vie que nous menons qui nous fait craindre la mort. L'amour nourrit nos peurs. Aimer quelqu'un, c'est s'engager à accepter la peur de le perdre.
Ces mots portèrent en moi un souffle de vérité. Je n'aimais personne, ni famille ni ami, ni quoi que se soit, ni même ma vie. J'étais libre et ne craignais pas la mort. Je pouvais m'en réjouir.
_ Alors je te pose la question, l'amour vaut-il que l'on est peur de la mort ?
Elle ne me laissa pas répondre, ses pensées, l’entraînant dans un monologue. Si elle n'avait pas mis tant d’énergie à tirer sur mon bras, bras rattaché à ce corps qui était mien, j'aurais pensé qu'elle avait, dans son éloquence, oublié ma présence. Ce qui ne m'aurait pas déplu car une angoisse grandissait en moi. Craignais-je pour la vie d’Adèle ? L'effroi d'une telle possibilité ralentissait mon corps, qu'Adèle ne ménageait pas. Elle retranscrivait l'énergie qu'elle mettait à me parler dans ses pas et accélérait alors que je ralentissais, créant une tension dans nos bras tendus, nous unissant. Craignais-je pour sa vie ?
_ C'est une question futile, poursuivait-elle, car l'amour caractérise l'être humain, il est insécable à l'homme. Tout humain aime car c'est natif à l'humain c'est ce qui lui donne le droit d'être humain parmi les humains. Supprimons l'amour, nous supprimons l'être humain et l'essence même de son existence. Il faut donc supprimer la mort.
Ne suis-je donc pas humain ? Craignais-je pour Adèle ? Ne suis-je donc pas un humain parmi les humains ? Que sommes nous si nous ne sommes pas humains ? Qui suis-je ?
Craignais-je pour Adèle ? Me rendrait-elle humain un jour ? Le souhaitais-je ? Que suis-je ?
Je m'écroulais, le contact de la neige glacée sur ma peau était agréable, rassurant. Adèle cherchait à me relever et me parlait sans que je ne comprenne ses mots. J'avais besoin de me sentir humain, un humain sur un sol de neige en emprise avec le froid et les efforts d'Adèle pour me relever. Je souhaitais me sentir humain à travers l'inquiétude que je percevais dans sa voix. D'autres mains, d'autres voix se joignirent à celles d'Adèle. On me touchait, j'existais.
On me traîna jusqu'à un banc, on m'y déposa. Les voix et les mains partirent, seule Adèle resta. On avait débarrassé le non humain de la voie et on s'en désintéressait. Là assis, je ne dérangeais plus, moins visible. Ou étais-ce Adèle qui les renvoyait, je ne sais pas.
Une chaleur piquante sur la joue, Adèle vient de me gifler, me rendant à mon corps. J'ai froid. Je tremble.
_ Comment te sens-tu ?
_ Pas tout à fait humain.
Adèle ne releva pas.
_ Je te ramène au pensionnat.
_ Aurais-tu peur pour moi ? Dis-je dans un filet de voix
Elle me sourit.
Cela me suffit.

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