jeudi 27 septembre 2018

Ne meurs pas sans me dire où tu vas. Chapitre 5

Chapitre 5
Lien vers le chapitre 3 
Lien vers le chapitre 4

Adèle me laissa à la porte du pensionnat, j'aurais pu croire à un abandon, ce qui m'aurait semblé tellement logique. Mais je pouvais lire dans ses yeux la promesse qu'elle reviendrait demain.
Je ne passais pas par le bureau du père Jean, je souhaitais me rendre directement dans la chambre de Thomas. Dans les salles, je pouvais voir les pensionnaires qui suivaient des cours, on les éduquait, on les cultivait, les rendant apte à une vie sociale, chacun y aurait sa place, humain instruit, pouvant aimer, apprivoisé à l’existence. Pourquoi le père Jean ne m'avait-il pas encore demandé de suivre les cours ? Il me savait différent et ne souhaitait pas me mélanger aux autres. Une mauvaise graine noircirait les bonnes semences.
Tant mieux.
Thomas se trouvait dans sa chambre, pourquoi n'était-il pas en cours avec les autres ?
_ Déjà de retour, me dit-il en cachant quelque chose sous son oreiller.
Je grognais. Que faisait-il ici ? était-il différent comme moi ?
_ Aimes-tu quelqu'un Thomas ?
Il me regarda avec un grand sourire

_ Toi tu t'es amouraché de la p'tite sauvageonne, j'savais qu'elle te plairais.
Je lançais un poing hargneux dans le mur et sortais.
Je traînais ma jambe dans les couloirs, comme on traîne le cadavre d'une biche, espérant trouver un refuge où je pourrais être seul avec mon inhumanité avéré et grandissante. En passant près des cuisines je volais un pain trop cuit sur un chariot, ce qui me valut la colère de la sœur en charge des repas. Cela ne me dérangeait pas, je supportais depuis des années la colère de tous, au moins celle-ci était-elle justifiée et j'en étais le véritable responsable. Le pain noirci n'aurait pas le goût de la culpabilité, je n'en étais pas pourvu. Je cherchais le moyen d'atteindre le grenier ou les caves. Les années passées à éviter les coups de bâton, ou tout autre objet pouvant occasionner des douleurs plus importantes qu'à l'accoutumé, m'avaient donné la faculté de trouver les meilleurs endroits pour me faire oublier.
Alors que je montais un escalier visiblement peu usité, porteur d'un espoir de tranquillité et d'isolement, je remarquais en arrivant sur le palier, dans une semi pénombre, Hortense.
Mon souffle devint court, la pénombre devait me jouait une illusion orchestrée par les traits de lumières provenant d'une fenêtre partiellement obstruée. Pourtant, je l'aurais juré si on me l'avait demandé. Je venais de voir la queue d'un chat noir disparaître dans la bouche d’Hortense. Comme si elle l'avait ingurgité. Elle passa à côté de moi avec le sourire que seule la folie pouvait créer. Elle posa sa main sur ma joue et avec l'ongle de l'index incisa ma peau en une ligne de sang. Ses pas ne résonnaient plus dans l'escalier que j'étais encore pétrifié, incapable de bouger. Hortense me faisait peur, une peur sans égal, et pour cela je me sentais attiré par elle, comme le vide qui attire lorsqu'il s'ouvre pleinement à nous. J'essuyais le sang perlé avec la paume de la main et le regardais comme une preuve de la réalité. Je m'installais à l'endroit où Hortense s'était tenue, craignant et souhaitant son retour. Je mangeais le pain trop cuit. Sa croûte cassante et sa mie desséchée me firent rire. J'aurais pu voler un pain parfaitement cuit mais ma main s'était posée sur ce pain laissé trop longtemps, à l'oubli des regards bienveillants dans un four pour finalement, être écarté des bons pains. Je trouvais ce pain solidairement bon.
Comme un fait inéluctable je m'endormais. Je me réveillais en sursaut, mes rêves étaient accompagnés de la sensation d'être observé. Une ombre noire s'échappait dans l'escalier, l'ombre d'un chat. Sur le sol poussiéreux autour de moi, les empreintes d'un chat, un chat traînant la patte avant droite. J'y voyais tout le sarcasme du chat, s'amusant de mon handicap.
J'explorais un peu les lieux, je m'y étais endormi sans me soucier de ce qui m'entourait. Certains trouveraient cela angoissant, moi je trouve cela rassurant d'ignorer ce qui nous entoure.
Je trouvais sans tarder une porte menant sur un escalier extérieur, permettant l'accès à une ruelle derrière le pensionnat. Cette découverte me soulageait car je n'avais pas envie de croiser qui que se soit avant de quitter une fois encore les lieux.
Ce soulagement fût de courte de durée et je maudissais ma mal chance comme on maudit ceux qui font ce que nous sommes. Le père Thomas marchait en sifflotant.
Je hais les matins heureux.
Le journal du jour était glissé sous son bras, j'aimais les journaux. Je me suis toujours dit qu'un jour je saurais lire et que je lirais entièrement un journal, le moindre article et même la rubrique nécrologique. Dans ma première famille d'accueil, l'homme de la maison rentrait tard le soir, usé par sa journée. Il s’assaillait dans son fauteuil, dépliait le journal et il le lisait entièrement, sans un mot, sans un soupir. Il n'avait jamais porté la main sur moi au contraire de sa femme.
Un soir elle fût prise d'une rage folle. Elle lança les assiettes sales à travers la pièce. Elle hurlait en lui demandant s'il avait idée du nombre de fois que dans sa vie elle avait lavé et essuyé ces assiettes. Elle gueulait qu'elle en avait marre de faire toujours les mêmes choses. Elle
lui avait dit cela à lui ; à lui pour qui les journées de travail consistaient à serrer un boulon de trois tours sur chaque pièce usinée que l'on déposée devant lui. Face au silence de son mari, c'était moi qui prenait les coups. Je ne lui en ai jamais voulu. Il lisait son journal, des gouttes d'eau salée diluant de ci, de là l'encre d'imprimerie.
Je n'entendais jamais le son de sa voix. Sauf le jour de sa mort, il n'avait pas fini son journal, il s'était levé avec le sourire, et avait posé affectueusement sa main rappeuse sur ma joue « donne un sens à ta
vie» m'avait-il dit avant d'aller dans son jardin.
Le jour de son enterrement, j'avais volé le journal du jour sur la table d'un café et je le lui avais déposé sur son cercueil. Je devais avoir six ans
Ce soir-là, les coups furent emplis de colères et de regrets. On me changea de famille, lorsque l'on me retrouva...
_ Où vas-tu ainsi Joseph ? Me demanda le père Jean
_ Je suis attendu.
_ Et qui t'attends ? Il y avait dans sa voix toute l'incrédulité et le doute que quelqu'un puisse m'attendre et donc souhaitait me voir. Je me préparais à lui faire une réponse cinglante et peut être même prendre la décision de ne plus revenir, lorsqu'il sembla regretter ses mots et s'en excusa avec une sincérité manifeste.
_ Excuses-moi Joseph, je ne souhaite pas te mettre en retard, il me tendit le journal, je l'ai fini autant qu'il te profite.
Adèle m'attendait devant le pensionnat, ses yeux ne m'avaient pas menti.
Allongée dans la neige elle regardait le ciel, ce ciel qui aujourd'hui nous dispenserait de ses blancs soupirs. Elle observait un oiseau voler.
_ As-tu remarqué, me dit-elle, qu'il est pour ainsi dire impossible de regarder, avec un minimum de sérieux, un oiseau voler sans qu'il s'impose à nous l'impériale envie de savoir voler ?
Elle se leva et déposa un baiser sur ma joue devenue brûlante au contact de ses lèvres.
_ Tu as l'air d'aller mieux, allons-y.
Comme à son habitude elle me tirait par le bras.
_ Tu lis le journal ? Dit-elle en observant le quotidien, qui m'embarrassait avant que je ne le glisse, roulé dans ma poche.
_ Non, fût ma réponse, elle l'accepta
Elle marchait trop vite pour ma jambe.
Le temps plus favorable apportait son lot de promeneurs. Dans notre marche devenue silencieuse, on saisissait des bribes de conversations inachevées, de-ci, de-là. Cela me donnait l'impression que ces gens-acteurs poursuivaient leur représentations sans moi, je ne saurais jamais s'il admettrait qu'elle avait raison ou si elle accepterait qu'il puisse avoir raison.
Acteur-spectateur d’autrui, succession d'actes incomplets.
Nous marchions depuis un long moment et Adèle ne semblait jamais douter du chemin à suivre, et s'il m'avait fallu retourner seul au pensionnat, j'en aurais été bien incapable. Nous étions dans la partie la plus ancienne de la ville. Celle qui, fût un temps, attirait tous les notables et petits bourgeois. Aujourd'hui, les lieux n'étaient plus que
vielles battisses laissées à l'abandon par ses anciens occupants, qui ont cherchés la modernité dans les nouveaux quartiers à la mode. Les pierres renvoyaient le son de nos pas dans la neige, comme si on les réveillait de leur oubli.
Ces rues peu fréquentées rendaient la neige poudreuse, nous nous enfoncions souvent jusqu'à mi mollet. Au hasard de l'une de mes nombreuses chutes, je remarquais la présence de quelqu'un. La personne se cachait en arrière de nous, à l'angle de la rue. Je décidais de ne rien en dire à Adèle, assuré qu'elle n'était pas concernée par cette traque. Les miaulements qui nous accompagnaient depuis un moment m'éclairaient sur la personne qui se dissimulait.
Pourquoi Hortense me suivait-elle ?
Notre progression, dans cette poudreuse, était ralentie par ma jambe et par l'attention que je portais aux bruits qui nous suivaient. J'étais fâché qu'Hortense me suive, elle semblait s’emparer de ma liberté. Le père Jean devrait être plus strict avec elle, ne devrait-elle pas être au pensionnat ? Alors que je me préparais à sommer Hortense de partir, Adèle s'arrêta devant une vielle grille, rouillée par le temps et l'oubli des hommes. Une glycine laissée libre, tordait par endroit le fer forgé, non pas par la force physique, mais par la force du temps, patiemment, n'hésitant pas à se scarifier l’écorce sur ce métal dur pour arriver à déformé ce que la main de l'homme avait sculpté.
_ C'est ici.
Elle arracha un peu de lierre sur une plaque, qui en son temps devait être dorée.
_ Quel étrange nom, dit-elle, Docteur U, je n'avais jamais vu un nom composé d'une seule lettre.
Ce nom me plut, car toute autre lettre m'aurait semblé plus appropriée que le U. Je pouvais me permettre cette réflexion, moi qui avait réduit à néant mon patronyme et tendais à la disparition de mon prénom. Une fois encore Adèle me surprit. Je m'éloignais car d'évidence nous n'avions rien à faire ici. Les lieux semblaient abandonnés, mais Adèle en avait décidé autrement et escaladait la vielle grille.
_ Vas-y, c'est plus facile que le mur du cimetière, me dit-elle une fois de l'autre côté
Je n'avais pas envie d'y aller, mais curieusement je ne supportais pas que cette grille nous sépare.
En effet, la grille ne présenta pas de difficulté à être escaladée, la fière glycine offrait de bonnes prises.
Adèle avançait déjà, ses pas dans la neige épaisse me donnaient l'impression d'une destruction, marquant notre intrusion. Je me calais dans ses pas, la neige ne méritait peut-être pas qu'on l'endommage davantage. Des arbres çà et là étaient couchés. On pouvait distinguer au loin une grande demeure. Les volets étaient fermés et aucune lumière n'en filtrait. J'essayais de convaincre, en vain, Adèle de rebrousser chemin.
_ N'as-tu jamais rêvé de visiter une maison à l'abandon ? C'est …grisant.
L'idée en effet aurait dû me plaire, mais il n'en était rien, peut-être que visiter une maison abandonnée avait trop de similitude avec ma propre existence, et je n'étais pas enclin à l’introspection.
Une sensation totalement subjective et donc dénuée de sens m'emportait, j'avais un mauvais pressentiment. C'est ce qui me poussait à suivre Adèle, je ne voulais pas céder à une telle faiblesse psychologique.
Le silence a cette particularité de mettre du temps à marquer l'esprit de par sa présence, je venais de m’apercevoir que depuis notre passage au-dessus de la grille celui-ci était absolu autour de nous. Ce constat augmenta la présence étrange de la veille demeure, silence de la matière. J'avais la sensation qu'aucun son ne pourrait sortir de ma bouche et que si je claquais mes mains l'une contre l'autre celles-ci resteraient silencieuses et je devais lutais contre l'envie irrépressible de le vérifier. Adèle était, elle aussi, silencieuse. Rester le bruit de la neige que l'on brouillait de nos pas maladroits.
Arrivés sur le perron, on se retrouvait devant une grille cadenassée qui protégeait l'entrée principale. Une fois encore, je pensais qu'Adèle allait, par conséquence, faire demi-tour. Et alors que je méditais sur le fait de savoir si ce cadenas, aussi rouillé soit-il, n'enlevait pas à la maison son caractère de lieu délaissé, Adèle avait entrepris de faire le tour pour trouver une autre porte. J'aurais pu une fois encore ne pas la suivre. J'aurais pu... Il nous fallut un long moment pour arriver sur l'arrière de la maison. Une véranda de verre s'avançait sur un immense jardin, de-ci, de-là de vielles statuts sortaient des bras, des têtes, des seins de la neige. Gardiens passibles des lieux. La véranda était éventrée par endroit, des verres brisés menaçaient de tomber, repoussant les visiteurs inopinés de leurs pointes tranchantes. A l'intérieur des citronniers, orangers et autres arbustes et plantes, qu'un temps une main humaine avait soigné et pris soin. Aujourd'hui, ils n'étaient plus que bois secs et terre poussiéreuse. Adèle se faufila par l'une des fenêtres brisées. Je la suivais. Nous n'étions encore que dans la véranda, mais nous avions l'impression de pénétrer dans la maison. Je lisais dans le regard d’Adèle l’excitation. Pour ma part, j'avais surtout plaisir à quitter la neige. Sur un petit arbre fruitier une feuille subsistait, comme pour dire que la vie, même ici, était encore possible.
Cette fois aucune grille ne protégeait la porte. Elle s'ouvrit en silence. Elle ne lutta pas et n'opposa aucune résistance, résignée à nous laisser entrer, certaine que l'odeur violente des lieux nous repousserait davantage. Nous nous étions éloignés pour reprendre de l'air frais. Adèle en profita pour m'exposait sa fascination pour l'odeur et le son.
_ L'un comme l'autre, disait-elle, sont invisibles et pourtant ils sont toujours présents et impactent nos vies, nos décisions, ils nous influencent. Remarque comme une odeur peut nous repousser, un chien en rage n'en aurait pas fait plus. Invisible et présent. Une odeur te ravivera plus de souvenirs que n'importe quelle image, et le son t'apportera plus de plaisir qu'un met délicat. Tu aimes le violon ?
A mon mouvement de lèvre, elle comprit que je n'en avais pour ainsi dire jamais entendu et n'insista pas. La main couvrant notre nez, on pénétrait dans la maison, l'odeur était un mélange de terre humide, de feuille en décomposition et des poubelles d'un boucher. Je sillonnais mes souvenirs à la recherche d'une odeur qui me ramènerait à des moments plaisants. Aucune odeur ne me revînt. Très peu de lumière filtrait, même une fois nos yeux accoutumés à la pénombre, on avait le plus grand mal à distinguer ce qui nous entouraient. Le sol était poisseux et collant, une odeur de fer s'en dégageait.
Une odeur me revenait à l'esprit, la chair, la chair brûlée. Enfant, j'avais eu comme punition, après avoir volé, d'avoir la main posée sur un feu à charbon. Je me souviens de cette odeur lorsque je portais à mon visage cette main rougi. Ce souvenir me mît en colère.
_ Quelle idiotie et enfantillage de venir ici ! Claquais-je à Adèle
_ Que somme-nous si ce n'est des enfants doublés d'idiotie ? Dis-moi
Joseph ?
Elle avait utilisé mon prénom comme un pompier utilise sa hache en cas d'incendie. Je me tus
Dehors le vent montait, comme à l'approche d'un orage en bord de mer. Et je pressentais que le ciel s'assombrissait et qu'il nous plongerait bientôt un peu plus dans la pénombre. Rien ne laissait pourtant penser qu'il neigerait encore aujourd'hui. Nous n'avions rien à faire ici, tout nous le disait, mais Adèle était sourde. La maison émettait des bruits de craquements, comme tremblante sous le froid et se calant pour résister au vent qui s'annonçait. Adèle essayait d'ouvrir une fenêtre... impossible. Cela m'oppressa et je mettais toutes mes forces pour l'aider, avant de passer à la suivante, puis une autre, puis combien d'autres ? Adèle m'observait m'évertuant en vain, et dans une détermination obscure, à m’écorcher les mains sur le montant des fenêtres pour les ouvrir. Elle finit par m'éloignait d'elles.
Comme je l'avais senti, une ombre s'épandait dehors, nous enfonçant un peu plus dans le noir. Adèle m’accompagna vers un large escalier, elle tenait ma main, comme on tient celle d'un enfant et avec l'aide de la rampe nous conduisit à l'étage. On arrivait sur un grand palier avec un corridor de chaque côté. Un pas de plus et nous serions dans le noir complet. Cela valait peut-être mieux que cette pénombre.
_ As-tu du cran ? Demanda Adèle, que je soupçonnais de sourire. Tu prends à droite et moi à gauche. Celui qui trouve quelque chose appelle l'autre.
C'était idiot, et que pensait-t-elle trouver ? Mais je découvrais qu'en moi il y avait un jeune adulte mâle, et poussé par l'envie de ne pas déplaire à Adèle, ce qui était totalement incompréhensible pour moi, je m'engageais dans le corridor. Rapidement le noir nous fît disparaître l'un à l'autre, et mon idée d'accepter m'apparût dans toute sa stupidité. Je décidais de me coller sur le mur de droite pour avancer. Alors que ma main droite restait plaqué au mur comme Ariane devait tenir son fil, ma main gauche battait frénétiquement le vide, partagée entre l'espoir de rencontrer un obstacle et l'angoisse de découvrir ce qu'il est. Le noir ne m'a jamais fait peur, je crois bien qu'enfant j'ai passé plus de temps enfermé dans le noir que dans la lumière. Le noir et moi étions familiers, parfois complices. Aujourd'hui, les choses me semblaient différentes, je ne le reconnaissais pas, étranger... Menaçant. Je sentais une présence un peu derrière moi, un souffle lent, retenu. Je ne paniquais pas, pensant qu'Adèle voulait s'amuser un peu. Mais soudain je l'entendis crier, plus loin dans l'autre corridor. Cette fois, mon coeur hâta sa cadence, et ordonna à mes membres de bouger. On se déplaçait autour de moi, on entailla ma main tendu dans le vide, puis l'avant bras. Dans mes mouvements impuissants pour me défendre, je perdis le contact avec le mur. On tournait autour de moi, incisant ma peau avec une vitesse inouïe. Un nouveau cri, presque un hurlement, Adèle paniquait. Nouvelles incisions, Adèle m'appelle. J'ai perdu mes repères, seuls ses cris me renseignent sur la direction à prendre. Nouvelles incisions. Je pourrais finir ainsi, dépecer dans une habitation à l'abandon. Ma jambe choisit ce moment improbable pour se raidir. Elle me poussait vers ma fin. Si ces circonstances auraient pu faire une fin acceptable pour moi ; être mutilé au plus profond de ma chair, attendant l'aboutissement d'une vie d'enfant martyre... Il ne pouvait en être ainsi pour Adèle, et je ne pouvais l'accepter. Nouvel appel. Je me dirigeais vers elle, la chose qui m'entourait, me repoussait, refusant que je la rejoigne, les incisions se firent plus nombreuses, rageuses. Des larmes coulaient dans la voix d'Adèle, m'obligeant à avancer. Devant l'escalier, de nouveau dans la pénombre, j’appelais Adèle, elle se jeta tout contre moi.
Tout redevint calme. Tremblante, elle nous emmena vers l'extérieur. Une fois dehors, elle me regarda et émit un petit cri qu'elle essaya de contenir. Une larme coulait le long de sa joue et le froid, dominant, la cristallisa à mi-parcours.
Je la regardais, et dans la périphérie de mon regard je voyais du rouge, sur mes mains et mes bras. Le ciel devenu noir cendre, déversa ses flocons, nous plongeant dans un univers argentique. Les sculptures qui m'avaient donné une impression de passivité, prenaient des allures menaçantes et graves. Rien n'avait pourtant changé en elles, je le savais, c'est mon regard et mon âme assombris qui me les dévoilaient ainsi.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire